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DEMOCRITE, atomiste dérouté
28 mars 2015

Je parle donc je délire

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       Philosopher, c'est devenir funambule, marcher sur la corde (funis) tendue au-dessus de l'abîme découvert par l'effritement de la représentation. Tout problème philosophique commence et s'achève avec le langage, avec le pouvoir intériorisé de la fiction qui donne à l'homme son seul moyen d'investir le monde, de coloniser la nature grâce à la structure guerrière du symbolique. Car, c'est d'une guerre que procède la nécessité de parler, de s'adresser aux autres hommes : la guerre infligée par la dynamique de la vie au milieu d'un Tout sans borne qui aura, quoiqu'on en dise, toujours le dernier mot.

       Le langage est la grande fabrique de l'ontologie, de la substance, de la réification donc de la structure hallucinatoire de notre mode d'appréhension de la réalité. Si je parle du pouvoir, de l'amour, de l'amitié, de la liberté, de la paix ou de la guerre, je ne peux qu'adhérer spontanément à des existants imaginaires, à des référents qui font signe vers des choses toujours vacantes. Le pouvoir n'existe pas, l'amitié pas plus et la paix pas davantage. Nous ne savons pas ce que nous nommons. Tout au plus, comme Pascal l'a si bien montré, nous nous réfèrerons à la pesanteur de la coutume et des mœurs pour nous donner le sentiment qu'il y a quelque chose qu'on appelle la justice, la liberté ou l'esprit. Mais la chose manque depuis toujours alors même que la fiction produit des effets incontestables dans le réel. C'est là toute la force du délire qui contraint l'animal humain à redoubler le réel pour s'y adapter (Rosset).  

        Les islamistes d'aujourd'hui tuent, massacrent, exterminent précisément pour ... rien, comme il n'y a pas si longtemps les catholiques, protestants et autres fanatiques. « Dieu est une hallucination sonore » (Cioran) comme toutes ces choses que nous faisons exister dans notre esprit et que quelques sensations, sentiments paraissent confirmer pour la seule raison que nous ne parlons que de nous et de notre besoin de faire monde. Que dieu produise des effets, c'est malheureusement évident comme toutes les superstitions et les croyances. Mais subrepticement, cette croyance en dissimule une autre, plus massive, plus redoutable, plus définitive et insurmontable parce qu'universelle, c'est l'adhésion inconditionnelle aux signes. La véritable divinité des hommes, c'est le langage : Au commencement était le Verbe ! Voilà l'idole suprême, le fétiche, le trésor qui apaise l'angoisse en nous plongeant dans l'univers magique du système symbolique. Le langage est le seul véritable dieu car le langage, c'est l'homme et son irrépressible besoin de céder à "l'illusion grammaticale".

       Les islamistes de Daesh nous rappellent à nos propres capacités délirantes, au vertige qui nous prend lorsqu'on pressent confusément qu'il s'agira pour nous d'opposer des valeurs à la folie de leur conduite, autant dire d'autres fictions, certes moins néfastes, moins violentes, moins agressives mais tout autant imaginaires. L'égalité homme-femme, la fraternité, la liberté démocratique ne convaincront jamais un "fou de dieu" parce que rien ne pourra jamais démontrer qu'il a ontologiquement tort. Nous ne nous battons pas pour ce qui est mais pour ce que nous disons, pour les constructions chimériques que nous défendons et qui nous donnent le sentiment fallacieux d'échapper à la folie.

 

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Commentaires
D
Cher Démocrite, votre dernière phrase est deux fois parfaite : non seulement impeccable, elle tombe juste avant ma sieste.<br /> <br /> <br /> <br /> Bien cordialement.<br /> <br /> <br /> <br /> delorée
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D
Il y a beaucoup de choses intéressantes dans vos remarques, Ella.<br /> <br /> Il est nécessaire, en effet, de distinguer le plan de la réalité (qui est le monde de la représentation) et le réel. Ce dernier peut être pensé mais c'est une pensée silencieuse qui fait signe vers ce qui n'est ni représentable, ni justifiable, ni connaissable. Le réel est hors langage, c'est pourquoi il ne peut mener qu'à l'aphasie. <br /> <br /> Ici, le mode "réellement" philosophique du penser se sait inapte à saisir quoi que ce soit. Cette faille est la condition liminaire de ce qu'on peut appeler penser philosophiquement. Sans dehors, sans vide, sans ce silence constitutif, la pensée ne peut se savoir bavarde et se confond avec les "sécrétions" représentatives qu'elle génère. <br /> <br /> Ainsi, sans rapport au réel, la philosophie n'est que construction idéologique et religion déguisée.<br /> <br /> Cela suffit-il à mettre fin à nos tourments ? Peut-être. Vaut-il mieux vivre délesté et mains ouvertes que chargé comme une mule, pieds et poings liés ? Rien n'est moins sûr. Le silence peut être très lourd à porter.
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E
Je me permets un petit commentaire personnel à ce texte, si riche en pistes de questionnement, comme tous vos textes, cher Démocrite…<br /> <br /> <br /> <br /> Je pense donc je délire, belle formule, puis-je dire…<br /> <br /> <br /> <br /> Elle m’était même déjà passée une fois par la tête, <br /> <br /> étonnée et ravie donc de la voir confirmée ici…<br /> <br /> <br /> <br /> Une image me vient, sorte de haïku sidérant, qui pourrait l’illustrer :<br /> <br /> <br /> <br /> obscure marais, la Terre<br /> <br /> coassement de grenouilles <br /> <br /> vortex ventriloque<br /> <br /> au milieu de la nuit profonde <br /> <br /> de l’univers<br /> <br /> <br /> <br /> Je coasse donc je pense…<br /> <br /> <br /> <br /> La pensée comme sécrétion du cerveau,<br /> <br /> tout comme le suc gastrique est une sécrétion de l’estomac…<br /> <br /> <br /> <br /> En somme, un simple processus physiologique…<br /> <br /> <br /> <br /> Un « processus sans sujet », comme disait Althusser (auteur que j’ai d’ailleurs juste survolé, n’étant pas spécialement intéressée par les questions d’idéologie politique, trop superficielles...)<br /> <br /> <br /> <br /> Les choses se présenteraient donc ainsi :<br /> <br /> <br /> <br /> De même que l’œil, qui regarde, et ce faisant crée « l’objet », mais ne peut se voir <br /> <br /> lui-même, la pensée qui coasse, et ce faisant crée « la réalité », incarnée dans « le langage », ne peut se penser elle-même. <br /> <br /> <br /> <br /> A part ce mécanisme, il existe un troisième œil : un œil qui regarde l’œil qui regarde, et qui, ce faisant, crée « le réel ».<br /> <br /> <br /> <br /> Il y aurait ainsi deux niveaux de pensée :<br /> <br /> « la réalité », niveau de l’individu et du physiologique-psychologique (le penser)<br /> <br /> « le réel », niveau du sujet et de l’esprit (le philosopher)<br /> <br /> <br /> <br /> Un traumatisme ou bien une sensibilité hors du commun peuvent ouvrir l’accès au « réel ». Un phénomène rarissime…<br /> <br /> <br /> <br /> Dans ce tableau, où se situe ce qu’on appelle « la science » ?<br /> <br /> La science ne pense pas, dit Heidegger. C’est un chemin qui ne mène nulle part.<br /> <br /> Elle n’a pas accès au « réel ».<br /> <br /> Elle n’est que cette partie de la pensée-sécrétion qui calcule et mesure l’environnement afin de l’utiliser.<br /> <br /> <br /> <br /> Dans la perspective de ce troisième œil, la « réalité », instituée par la pensée-sécrétion, apparaît comme un délire, une aberration. <br /> <br /> <br /> <br /> Pourquoi donc ?<br /> <br /> Parce que cette « réalité » est emplie de malheurs (la liste serait trop longue pour les énumérer).<br /> <br /> Et le malheur est gratuit, dans le sens qu’il n’a aucune nécessité.<br /> <br /> Le monde aurait très bien pu être fait autrement.<br /> <br /> <br /> <br /> A qui reprocher cet état de fait ?<br /> <br /> A personne.<br /> <br /> Il n’y a personne en face du sujet pour rendre compte du malheur.<br /> <br /> Personne non plus à qui demander « justice »…<br /> <br /> <br /> <br /> Alors ?<br /> <br /> <br /> <br /> Au niveau de l’individu, il reste comme échappatoire la fiction du divin.<br /> <br /> <br /> <br /> On voit aussi, dans les sociétés laïques, certains se rabattre sur le carpe diem, la recherche de la « beauté », de la « spiritualité » et autres entremets en vogue, qui ne manqueront pas d’arrière-goût douteux…<br /> <br /> <br /> <br /> Au niveau de l’esprit…Est-il possible de danser au bord de l’abîme ? J’en doute…<br /> <br /> En tout cas, pas longtemps...<br /> <br /> <br /> <br /> Le fait de savoir qu’on n’est pas le petit dindon de la grande farce métaphysique, <br /> <br /> et qu’on n’est pas seul à le savoir, peut s’avérer, en revanche, suffisamment rassérénant, et même fortifiant, pour la traverser…<br /> <br /> <br /> <br /> Car, en fin de compte, quel soulagement ! <br /> <br /> Finis les questionnements sans fin, finis les montagnes de livres à lire !<br /> <br /> plus rien à chercher, car rien à trouver !<br /> <br /> <br /> <br /> Dolce pensar niente …quel bonheur !<br /> <br /> La revanche de l'esprit sur la matière...
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D
Oui, cher Cédric, sans doute y a-t-il quelques illusions nécessaires, et vous en êtes une à part entière, c'est ce qui vous rend si distinct, si original.
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C
Oui, cher Démocrite. <br /> <br /> <br /> <br /> Je dirais d'ailleurs pour commencer qu'il n'existe pas de "Démocrite" comme il n'existe pas de "Cédric", le nom, le prénom sont déjà de l'imaginaire, du langage, des illusions, ce sont d'ailleurs les plus ancrées, les plus difficiles à voir... <br /> <br /> <br /> <br /> Tous les mots, absolument tous sont du vide qui tente de parler de vide en construisant une illusion du plein.<br /> <br /> <br /> <br /> "Je suis Cédric" est la première des identités illusoires... "Identité illusoire" étant un pléonasme.<br /> <br /> <br /> <br /> Je vous salue, cher autre être qui voit, qui vit, qui pense. Bref, cher autre moi-même.
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E
Cher Démocrite,<br /> <br /> j'ai l' impression que nous ne parvenons pas à nous entendre. Ou bien, c'est moi qui ait quelques difficultés à entrer dans votre pensée. Votre point de vue sur le langage semble très éloigné du mien. Ceci s'explique sans doute parce que nous n'avons pas hérité d'un langage commun, ou d'une culture de la connaissance commune (c'est dire que je suis plus étrangère à la philosophie que vous). Cette langue dont vous usez est différente de la mienne : je n'ai pas en mon sens les même représentations que vous lorsque je parle du langage, du réel, ou de la faculté meurtrière du langage, ou plus exactement de la parole (ce qui n'est pas pour moi la même chose que langage). Je crois que le langage a quelque chose de réel, mais je ne suis vraiment pas capable de me faire comprendre. C'est peut-être une intuition, ou une croyance. Je ne sais, car je ne suis jamais certaine de ce que je dis : la distance dont je parlais se situe ici, prendre de la distance par rapport aux discours ambiants et en premier lieu par rapport au nôtre. (notre parole est loin d'être une vérité, il s'agit de se décentrer de notre parole et de tenter de l'analyser : par ailleurs, les fanatiques tuent car assimilent un discours religieux à une vérité). Lorsque vous dites, "parler c'est accomplir le meurtre de la chose", citant Lacan, vous montrez ici votre affiliation de pensée à celle de Lacan, en somme votre discours est imprégné d'un déjà dit, doublé d'une interprétation qui est toute singulière et personnelle. Il y a derrière cette reprise, cette citation, tout un monde de sens qui résulte d'un métissage de votre pensée avec celle de Lacan, un monde de sens qui vous appartient (plus ou moins). De mon côté, si j'interprétais cette phrase de Lacan, c'est un autre monde de sens qui s'y attacherait. Cette phrase de Lacan, couplée à celle de Wilde, m'apparait se focaliser sur la fonction représentative/nominative du langage, or le langage ne sert pas qu'à "nommer". Et dire que nommer est détruire ou tuer, ou encore si je reprends les termes de Dilettante qui parle de "tyrannie" du langage (vous utilisez aussi ce terme "guerre"), nous pouvons là repérer un champ lexical qui dénote une certaine violence du langage : or si le langage a certains aspects violents, il me semble que de le percevoir de la sorte est quelque peu réducteur. <br /> <br /> Bien cdt
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D
Je pensais, lorsque je disais que la science était arrivée à cette conclusion, à Aurélien Barrau essentiellement. Je reconnais donc que ma généralité est un peu tirée par les cheveux :-) Toutefois, le fait qu'un seul scientifique puisse tenir ce discours est pour moi un des plus beaux signes d'un changement à venir. J'y crois, moi qui ne crois en rien...
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D
Pour paraphraser Aristote, chère Elly, je crains que le langage soit "l'outil d'avant les outils", pas seulement un moyen parmi d'autres, pas seulement une "catégorie", mais la structure anthropologique qui est constitutive du rapport que nous tissons avec la réalité (et non le réel). C'est pourquoi, il est très difficile de "garder distance" comme si on avait affaire à un objet. <br /> <br /> Le rapport au langage est viscéralement organisé c'est pourquoi les terroristes ne sont évidemment pas les seuls à devenir "meurtriers" même s'il ne s'agit pas des mêmes violences.<br /> <br /> "Parler c'est accomplir le meurtre de la chose" notait Lacan et avant lui Wilde disait que "nommer une chose revient à la détruire". Pour se hisser au niveau de cette intuition géniale et terrible à la fois, il faut sentir que le langage officie comme effacement pur et simple du réel. Expérience rare et souvent dévastatrice. <br /> <br /> Amicalement.
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E
évidemment, je voulais dire que le langage est une "catégorie". c'est une étourderie langagière...
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E
Il parait certain que nous devons apprendre à garder distance par rapport au langage, qui reste un outil. Aussi, le langage n'est qu'une catégorisation de plus dans notre réalité découpée, nous permettant de réfléchir à cet objet "langage", objet finalement aussi mystérieux que peut l'être le réel. D'ailleurs, on n'a pas fini de se demander si le langage a une origine (ne pas oublier ce que les thèses d'une langue originaire indo-européenne ont eu comme conséquences). Aujourd'hui, on voudrait croire que la langue (à différencier du langage...) serait une composante forte de notre identité : depuis le nationalisme d'état (français, entre autres) aux divers peuples qui se battent pour la reconnaissance de leur existence, réclamant des droits, et(les Kurdes par ex) faisant entendre leur voix, comme quoi, ils ont aussi "une" langue, "une culture", "une identité". Le langage nous donne en effet l'illusion d'exister...<br /> <br /> Ainsi, à notre échelle d'humain, il me parait important de porter une attention particulière à notre parole, car les mots peuvent en effet s'avérer meurtriers : il n'y a pas que les terroristes, chaque jour au quotidien, il suffit d'observer les cas de harcèlements ou de violences verbales, etc. C'est que le discours a parfois, souvent, des capacités de persuasion : suffit de relire le pouvoir des fables. Le discours de l'homme, pas le langage tout seul, qui n'est rien en somme, si ce n'est un objet d'études scientifiques.
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