Théâtre social et aliénation
Le caractère théâtral de l'existence sociale atteint son point le plus haut, le plus évidemment paroxystique lorsque cessent aux yeux de tous, les féroces hostilités, les coups les plus rudes, les chocs les plus profonds. Alors, l'animal humain peut-il avantageusement se laisser aller à son besoin d'humanité, aux illusions d'une domesticité à bon compte arrachée aux instincts, en refoulant simultanément dans les intermondes organiques, la cruelle vérité qui mobilisa sa folle puissance dans le combat le plus âpre qu'il mena contre lui-même.
Tout peut désormais redevenir comme avant, une force ayant écrasé l'autre, un complexe ayant enfin pris le pouvoir ; voilà la naissance d'une nouvelle hiérarchie et avec elle, une nouvelle mise en scène aussi pompeusement fictive que la précédente, indépendamment de ses effets dans la réalité. Notre indignation est déjà le signe d'un consentement manifeste.
Nous nous en accommoderons car nous ne pouvons faire autrement. La structure mondaine de notre être n'échappe pas à cette aliénation constitutive de l'image du monde à laquelle nous ne pouvons que sacrifier, sans quoi nous serions tous poètes, autant dire des amuseurs publics, à la manière des fous du roi dans le vaste zoo des prédateurs.