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DEMOCRITE, atomiste dérouté
20 décembre 2014

La basse-cour psychiatrique

 

         Je n'ai jamais eu beaucoup de sympathie pour l'institution scolaire et à dire vrai, il m'était impensable, dans mes jeunes années, d'envisager une carrière de professeur. Cette idée me donnait des haut-le-cœur tant je percevais l'école comme un lieu sclérosé, abrutissant, sans envergure, avec pour mission réelle de surveiller les subjectivités d’élèves et non de les stimuler ou de veiller à leur élévation. L'école m'apparaissait comme une fabrique de l'ennui entretenue par des emplois du temps saturés, ne tenant aucun compte des rythmes singuliers, opérant un forçage constant sur l’intelligence par la sélection, dans des bâtiments conçus comme des prisons, avec leurs grilles, leur système de contrôle et de notation.

         Quant aux profs, comment ne pas les voir comme des normatifs anxieux et susceptibles, obsédés par leur programme et agrippés à leur maigre pouvoir ? Quelques-uns faisaient évidemment exception, ceux ou celles qui ont marqué ma formation et m’ont donné le désir de penser plus avant, d’approfondir une curiosité malmenée mais qui avait pu résister au rouleau compresseur. Quelques rares professeurs de lettres me stimulèrent et me donnèrent le goût des mots, de l'étymologie. J’eus aussi un professeur de physique qui m’initia au concept de « force », ce qui fut pour moi une révélation en classe de seconde. Il y eut enfin un ou deux professeurs d’histoire, de sport et un de mathématiques qui me réconcilia avec la discipline de Thalès. Cela fait peu lorsqu’on passe huit années de collège et de lycée, à peine sept ou huit professeurs sur une centaine (je n'ai pas compté).

        J’en suis même à me demander comment j’ai pu me sortir de cette usine à gaz avec un désir d’apprendre encore quelque chose. Heureusement, il y eut la philosophie en terminale et ma professeure qui exerçait, par ailleurs, la tâche de psychanalyste. Nous baignâmes dans les mythes platoniciens, dans l’inconscient collectif, dans les archétypes chers à Jung dont elle se sentait proche. J’avoue ne pas avoir bien compris à l’époque le sens de tout cela. Mais il y avait dans ses cours, un brin de folie, un quelque chose de décalé, lié à  une énergie hors système, qui me faisait entrevoir un autre niveau de réalité, même s’il conservait sa part de mystère. C’était suffisant pour m’inciter à poursuivre des études de philosophie. Ce que je fis.

        Plus tard, je me retrouvais devant des classes par nécessité, contraint de gagner ma vie et découvrant avec une réelle jubilation l’autre facette du métier, sa liberté, le peu de pression par rapport à la hiérarchie, la relation de qualité tissée avec les élèves, et puis l'exercice philosophique mais aussi le temps laissé pour penser, réfléchir, méditer et flâner et les vacances etc. 

       Ce qui n’a, en revanche, guère évolué, c’est le regard que je porte sur la fonction et la manière dramatiquement répandue de l'habiter, sur ces collègues qui me renvoient tristement à mes souvenirs de collégien et de lycéen. Que je n’aimerais pas me voir infliger leurs cours et être infecté à nouveau par le syndrome viral qu’(ils )elles véhiculent gravement avec bonne conscience !

       Comment décrire cela ? Esprits souvent étroits, centrés exclusivement sur leur matière, sans idées ni questions, englués dans un pédagogisme de confort, obsédés par la classification, les normes et les jugements, allergiques aux idées neuves comme à toute forme de pensée critique, servant la normopathie institutionnelle dont elles sont les apôtres. Voilà la triste définition du ou de la « fonctionnaire » - l’enseignante qui sévit partout et dont le principal objectif est d’entretenir coûte que coûte un système verrouillé et profondément hystérique. Tout doit « fonctionner » dans une confusion symbolique générale. 

       C’est avec tristesse que je vois partir quelques anciens, du moins ceux ayant le goût des mots et des idées, les rares avec lesquels il était possible d’évoquer La Rochefoucauld, Pascal ou Chamfort sans passer pour un "intello illuminé" dans la salle des profs ! Ceux-là laissent désormais la place à la nouvelle génération d'enseignants-accompagnateurs pour Maison de Jeunes, prolétarisés et acéphales en matière de pensée critique. 

       Il me semble parfois devenir un membre de la meute, ayant perdu l'écart nécessaire qui protège ma santé subjective. A d'autres moments, tout ce monde si bien organisé m'apparaît comme une bruyante basse-cour que j'observe avec un sentiment d’étrangeté croissant, me faisant l’effet d’être entré dans un hôpital psychiatrique. N’est-ce pas moi qui suis en réalité sous l’emprise d’un délire hallucinatoire ? Il me faudrait trouver quelqu’un, quelqu'un à qui parler ! Mais qui ? Comment parler de tout cela sans être immédiatement convaincu que le fou, c’est évidemment moi !?

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Commentaires
S
Ce que je perçois comme difficulté redoutable au sein de notre système éducatif, c’est l’attitude des élèves qui, conditionnés par certaines formes de cours magistraux renoncent à penser par eux-mêmes. Ce qui ne signifie évidemment pas que la vérité soit individuelle, mais qu’on ne peut avancer vers le vrai universel qu’au prix d’un effort personnel. <br /> <br /> Certains élèves, avec le recours systématique à l’internet aussi, deviennent de formidables réservoirs de contenus qu’ils déversent çà et là, histoire de noircir quelques pages.<br /> <br /> Comment peut-on s’instruire sans avoir été éduqué à l’instruction ? <br /> <br /> <br /> <br /> C’est là me semble-t-il une question essentielle qui s’adresse non seulement aux élèves mais aussi à leurs propres parents qui sont au fond dans la même détresse psychologique. Leur tentative d’immixtion dans le milieu de la pédagogie est à l’évidence mal calée, mais elle est aussi la marque de leur impuissance à se conduire eux-mêmes. <br /> <br /> Ils ont oublié qu’on ne possède véritablement que les idées qu’on forme soi-même et par conséquent CETTE CAPACITE extraordinaire d’y adhérer en homme libre.
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M
Cher Démocrite,<br /> <br /> Je partage,en partie, votre point de vue .Une petite anecdote cependant:j'ai voulu l'année dernière ne mettre presque que des notes au dessus de dix et penser ainsi encourager tous les élèves (je préfère souvent dire les jeunes).Le résultat ne sait pas fait attendre.Entretien houleux avec la direction...<br /> <br /> Bien à vous,
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D
Merci Elly pour ce témoignage. L'école est censée mener l'intelligence au niveau symbolique qui non seulement sépare l'enfant de ses impulsions, de ses passions, de ses ancrages identitaires familiaux et des préjugés irréfléchis tout en le reliant à la culture par l'accès aux Idées. <br /> <br /> La crise du symbolique est une crise de la culture tout entière et, en effet, l'école a sa part, une lourde part. Et les choses ne vont pas s'améliorer si on en juge par les tendances de ces dernières années : augmentation du pouvoir des parents, réduction des exigences du bac, peur d'affronter les enjeux sociaux dans les classes, raidissement moral généralisé, crispations identitaires et religieuses, bref il y a danger à réfléchir sur ce qui fait problème ! <br /> <br /> Et dans le même temps, les processus sélectifs fonctionnent à plein, entretenant des masses de préjugés et de violence symbolique sur et dans les filières. Les sciences n'intéressent pas les élèves de classe scientifique dans la majorité des cas, les lettres et la philosophie n'intéressent pas les élèves de L qui sont là par défaut etc. Et que dire des séries technologiques...? Ecole de la bêtise organisée et entretenue par l'institution. <br /> <br /> Quant à la difficulté d'écouter l'autre, je rencontre ce problème tous les jours dans mes classes. C'est dire si les élèves ou les étudiants ont le sentiment de ne pas avoir été écoutés et surtout entendus. Le respect n'est pas une affaire de devoir abstrait mais d'abord une pratique réelle. Et sur ce plan, tout est en friche ! <br /> <br /> En ce qui concerne les parents, je me suis souvent exprimer là-dessus. Mes collègues supportent mal et même pas du tout l'idée, pourtant élémentaire et symboliquement claire, selon laquelle un élève n'a pas de parents ! Si même les "professionnels" reculent devant cette évidence nécessaire, alors tout est faussé et le statut de l'école et surtout de l'élève dangereusement menacé.
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E
Cher Démocrite<br /> <br /> Je vous lis avec intérêt et partage votre point de vue... <br /> <br /> Par ailleurs, je suis assez consternée par le niveau de culture, d'écriture, de lecture, et de "communication" orale des post-bac dont je m'occupe de former l'esprit critique et réflexif... Leur pensée est éclatée, et emmurée dans des lieux communs. Ils ont beaucoup d'opinions mais souvent ce constat : "je ne sais pas comment dire, comment expliquer"... Et puis, c'est terrible comme ils ne s'écoutent pas...<br /> <br /> Alors, souvent, avec des collègues "formateurs", on se demande ce que font les enseignants et professeurs lorsque l'on rencontre des bacheliers illettrés... Évidemment, il y a de multiples explications et ce n'est pas de la seule responsabilité des enseignants. La société actuelle (de l'immédiateté) n'aide pas non plus à développer la réflexion. "Une tête bien faite plutôt qu'une tête bien pleine" ? ... On y échoue, semble-t-il et devant les écoles (surtout primaire), les attroupements de parents, ça fait aussi terriblement "basse-cour" ou "meute" prête à bondir sur leur proie (un/une instit de préférence, mais pas que...).<br /> <br /> Cordialement,<br /> <br /> Elly<br /> <br /> ps : vos photos sont superbes...
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A
Pour etre plus précise, le ressenti que j'ai exprimé est le reflet du comportement des enseignants confrontés au droit.<br /> <br /> Ils consultent auparavant sur internet, et se font un plaisir, quasi généralemetn, de corriger les actes juridiques rédigés par les professionnels du droit..voire meme de vous donner un cours de droit !!<br /> <br /> <br /> <br /> Professionnels du droit, .qui ont souvent aussi été parmi les meilleurs élèves...et ont pu même enseigner par ailleurs, à un niveau supèrieur.....<br /> <br /> <br /> <br /> L'enseignant a du mal dans ce contexte précis, à sortir de son statut d'enseignant, et à se placer là où il doit être : c'est à dire un néophyte lors d'une consultation ou d'une affaire juridique; Chacun son métier. tel est le sens de mon propos.<br /> <br /> <br /> <br /> Et ce dernier vous rejoint sur la question de l'auto critique....
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M
Cher Démocrite,<br /> <br /> Seriez-vous pour la suppression des notes?mais quoi à la place?<br /> <br /> Enseignant en sciences physiques il m'est assez facile de noter.Par contre pour certains collègues littéraires c'est un vrai casse-tête.Qu'en pensez vous?<br /> <br /> Un assidu de votre blog,
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A
Cher Démocrite,<br /> <br /> <br /> <br /> Je partage votre point de vue et compatis...<br /> <br /> <br /> <br /> sachez que de l'extèrieur, pour les non enseignants, les membres de l'éducation nationale sont ....difficiles à supporter: ce sont ceux qui expliquent, ceux qui corrigent, ceux qui coupent constamment la parole, corrigent les fautes....ceux QUI SAVENT<br /> <br /> <br /> <br /> Régulièrement, dès qu'on parle des enseignants, on évoque une sorte de "secte"...un système archaique....avec des individus convaincus de détenir le savoir....et d'etre meilleurs que tous les autres...<br /> <br /> <br /> <br /> Mais toutes les professions ont leurs travers.....leurs hystériques, leurs pétris de certitudes, leurs égos surdimensionnés....chaque profession déçoit, il faut donc relativiser !!!!<br /> <br /> <br /> <br /> Et ne pas se focaliser sur la gente féminine :)
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M
Cher Démocrite,<br /> <br /> Votre ressenti est celui de bien des collègues dont je fais parti.Surtout qu'aujourd'hui certains élèves vous filment ou vous enregistrent à votre insu et le moindre faux pas..<br /> <br /> Votre parcours me fait penser au mien.<br /> <br /> Certains enseignants adoptent des stratégies de..survie.L'institution <br /> <br /> éducation nationale a toujours été d'une grande complexité.Aujourd'hui ce <br /> <br /> sont les notes et les humanités qui sont remises en question et après?<br /> <br /> Ce sont des gestionnaires qui dirigent ce grand barnum.Ne l'oublions <br /> <br /> jamais.Sachez que vous n'êtes pas fou du tout.L'excellence de votre blog <br /> <br /> en est la preuve.C'est le système français..<br /> <br /> Bien à vous,
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