Aspe : le visage de l'incommunicabilité
cliquer sur les images
La vue offerte depuis ma terrasse est à ce point spectaculaire qu'il m'est de plus en plus coûteux de jouer les nomades aventuriers et de me perdre dans les hauteurs pyrénéennes. Prendre la voiture et m'arracher à la foule des affairés, à la circulation urbaine me pèsent souvent.
Alors, je contemple à distance les cimes coruscantes de l'Escurets et de l'Ourlène tant de fois parcourues.
Je trouve heureusement quelquefois l'énergie pour filer plein sud comme au temps heureux de mon invraisemblable arrivée sur les terres béarnaises, période où comme un fou d'azur, je courrai mains ouvertes dans les pentes, ivre d'espaces et de nature retrouvés, redéployant un devenir-animal trop longtemps brimé par des années de domesticité septentrionale.
Hier donc, en compagnie d'une Sibylle, je m'échappai, de façon impromptue sur les hauteurs d'Aspe, non loin des tourmentes frontalières, là où dansent les brumes tourbillonnantes d'une créativité hors langage.
Le silence hiémal de ces altitudes me tient à distance des choses délestées de leur nom. La force du réel est palpable, sensible. Icare, figé dans les glaces, figure exubérante de l'hybris solaire, a terminé sa course folle dans les plis de la matière blanche.
L'incommunicable est évidemment la loi pour l'homme éveillé. D'où parlons-nous sinon de nos singulières forces dont nous ignorons le jeu d'affects qui les constitue ? Nous pressentons combien le dire s'évapore et se dissout comme le pas du marcheur dans une neige précoce.
L'absurdité de la vie ne réside pas plus dans la vie que dans la surdité qui nous tient au plus loin de nous-mêmes et nous empêche d'ouïr la subtile arabesque des intensités telluriques qui nous pousse à la parole, au dire intentionnel.
La tectonique des profondeurs fait le rythme et la sismicité de nos échanges. Ces deux observateurs, ces témoins ne se savent-ils pas aussi solitaires que le plus grégaire des hommes ?
L'opacité gagne le monde des vivants rongés par le vouloir. Leur cécité n'est-elle pas aveuglante ? Faudra-t-il, tel Oedipe, se crever les yeux et voir pour la première fois ce qui nous empêche de voir ?
Source féconde de l'incommunicabilité,
Dans le silence du temps décomposé
Aspe se drape du voile de la Vérité.