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DEMOCRITE, atomiste dérouté
19 avril 2017

Philosophie politique de l'insoumission

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Jamais l'incertitude n'aura été aussi grande quant à une élection présidentielle. Le sentiment très désagréable du "tout est possible" dans une France passablement fracturée par un inquiétant antagonisme des forces en présence n'augure rien de bon. La victoire dramatiquement envisageable des réactionnaires de la droite-extrême qui s'accommodent sans vergogne de la corruption de leur chef et de sa folie autistique ou de l'extrême-droite paranoïaque, fait peser sur ce ciel clair de printemps, une étrange atmosphère d'imprévisibilité totale. Rarement la fortune n'aura été à ce point sensible. Car de son "opérativité" jaillira la victoire d'un système de forces sur un autre diamétralement opposé. Pour quels effets ?

Je m'étonne des réticences stéréotypées de certain(e)s collègues "philosophes" vis-à-vis du seul candidat qui ait bâti avec des milliers de citoyens une plateforme programmatique rationnelle et rigoureuse économiquement, dans l'esprit d'une philosophie de la résistance à l'obscénité oligarchique et médiacratique de notre temps. Et pourtant, celui-là nous rappelle au "phi" de la philosophie, à la culture grecque et à l'invention démocratique, à la décroissance épicurienne des désirs, au respect des animaux, à l'amour de la Nature qui constituait pour les Anciens le référent par lequel la vie humaine pouvait se situer dans l'orbe de la nécessité naturelle et universelle. Que vaut aujourd'hui dans notre monde désenchanté cette symbolique de la philosophie qui est aussi symbolique du "philein", de l'amitié partagée, d'un lien fécond tissé entre les hommes ?

Cet appel insoumis à la pensée n'entend pas réduire l'homme à ses seuls appétits de prédateur dont l'enrichissement illimité et la guerre de tous contre tous sont devenus la règle dans une Europe qui a organisé par ses traités la dérégulation économique et sociale. Les références instruites interrogent aussi le rapport du citoyen au pouvoir qu'il n'a pas. Son auteur fait signe, en lisant le Discours sur la servitude volontaire de La Boétie vers les compromissions des peuples qui font la tyrannie par le seul pouvoir de leur imagination délirante, "la folle du logis" et dont Pascal nous rappelle avec son génie propre, combien cette dernière est "maîtresse d'erreur et de fausseté". Ce qui se passe présentement en Turquie en est l'illustration dramatiquement la plus parlante. Votons pour un autocrate ! Il y a de la jouissance à se faire maltraiter, à payer une dette infinie, à saborder ses droits, à pratiquer le masochisme collectif ou le sadisme envers un ennemi imaginaire dont l'étranger ou le migrant est la figure cristallisée. Ces perversions s'emparent peu à peu des pays limitrophes de l'Europe et s'infiltrent partout jusque dans l'attitude réactionnaire de la droite française animée de pulsions agressives.

Mais voilà ! Quel prétendant à la fonction présidentielle aborde les enjeux de notre temps, fort de ces contre-pouvoirs que sont la raison et la philosophie ? Verrait-on la clique de l'Union des Moutons de Panurge (UMP) citer Montaigne ou Epictète ? Les macronistes se référer à Thoreau ou à Lucrèce pour penser le rapport de l'homme à l'animal ? Les paranoïaques de l'extrême droite évoquer les Cyniques de l'Antiquité ? Qui aujourd'hui se risque sur ce terrain de la pensée et de l'histoire, osant penser avec d'autres les possibilités d'une intelligence collective, instruite et citoyenne ? Qui aborde sans trembler les insupportables dérives de la monarchie présidentielle, la corruption des élus, la confiscation des pouvoirs, les grands enjeux écologiques planétaires, la paupérisation généralisée dans des pays de plus en plus riches en proposant des réponses raisonnées, argumentées, financées, fruit d'un authentique travail d'élaboration contradictoire, mené par des citoyens, des économistes, des sociologues, des philosophes, des mathématiciens ?

Il est difficile de raisonner en politique tant les passions sont fortes et les intérêts puissants. Il y a là une étrangeté qui ne laisse pas d'interroger l'homme de bon sens. Faut-il admettre avec Machiavel et Hobbes que la politique n'est qu'une affaire de régulation des affects et dont le principal serait la peur ? Peut-on penser autrement qu'en termes de passions tristes la question politique ? Chacun sait que la peur sépare, divise, oppose et accroit la tristesse et l'impuissance d'où émane le discours affligé et affligeant de ceux qui font profession de diffuser la crainte, l'angoisse, la ruine et la haine. Car au final, la peur n'engendre-t-elle pas la guerre dont nous constatons partout les effets délétères et que nous redoutons par dessus tout ?

Sans nier le pouvoir de la peur, il est possible et nécessaire de penser davantage en termes de puissance réconciliatrice et d'unité, de paix et de créativité, d'intelligence et de congruence. Mais pour cela, il faut une instance tierce qui autorise, émancipe et accroit la puissance de chacun, articulant le génie personnel et sa dynamique à un niveau plus général et commun garanti par la loi commune. Il faut penser une "res publica", une puissance symbolique dans laquelle, et selon l'excellente formule de Montesquieu, "le pouvoir arrête le pouvoir" mais relie simultanément les citoyens entre eux. C'est, par exemple, la révocation des élus qui ne respectent pas la loi ou trahissent leur mandat. C'est le devoir de voter et la prise en compte du vote blanc. C'est le respect strict de la laïcité comme principe d'apaisement et de séparation entre conscience privée et conscience publique. C'est l'éducation à la citoyenneté par laquelle chacun s'efforce grâce à l'extension de la culture de s'arracher aux préjugés identitaires, à l'hubris de la consommation folle et irraisonnée. C'est le partage de la richesse car la fin de l'existence ne réside ni dans la possession ni dans l'accumulation illimitée. C'est l'effort par lequel chacun peut comprendre que la liberté politique naît d'une instance régulatrice -l'Etat, qui à défaut de mieux, a été inventée, comme le note joliment Rousseau, pour ne pas obéir aux hommes et les sortir de l'assujettissement économique dans lequel le monde capitaliste dérégulé les a précipités.

Qui pour voir dans la France insoumise un gigantesque effort pour sortir de la déraison et, comme le médecin, réduire l'intensité des symptômes dont nous souffrons ? Plus que jamais nous avons besoin de philosophie et de ce "phi" réconciliateur qui fait de l'autre, non mon ennemi, mais celui avec lequel il devient possible de penser la définition d'un intérêt général humain et plus largement, d'un intérêt général planétaire.

 

 

 

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Commentaires
D
Cher Ami, <br /> <br /> Il n'y a aucune attaque ad hominem. Mon commentaire est simplement dans l'exacte continuité de l'article qu'il tente d'illustrer plus concrètement. Il fait signe vers les mécanismes d'intériorisation de l'impuissance volontaire déjà analysés par La Boétie. Il est donc inutile de "soviétiser" ou "psychiatriser" la discussion. <br /> <br /> <br /> <br /> Je me place sur le terrain des institutions et sur la manière dont l'anomie collective produit un type de discours dont ton commentaire prolonge à sa façon l'état d'esprit, y compris d'ailleurs les stéréotypes des oligarques et les médiacrates ("haine du riche", "ouvrier socialiste", "soumission étatique") que tu reprends sans distance comme si le projet évoqué dans l'article était celui-là.<br /> <br /> <br /> <br /> Colère et indignation ? Heureusement ! Elles sont des vertus lorsqu'elles mobilisent un processus actif et s'ancrent dans la réalité concrète pour chercher à contrer des effets dévastateurs observables. C'est bien de cela dont il s'agit.<br /> <br /> Mais passons... <br /> <br /> <br /> <br /> Mon interrogation cruciale demeure : quel autre moyen que la loi pour pacifier les rapports humains et empêcher la dérégulation ?
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A
Bien cher Ami,<br /> <br /> <br /> <br /> Je suis un peu étonné par cette réponse qui emprunte par moments l'impasse ad hominem : peur, impuissance, fantasme délirant... Je ne donne guère dans l’analyse para-psychiatrique pour ce qui relève du discours et des actions politiques, - c’était une méthode soviétique et je ne suis ni soviétophile ni psychologue, ni psychiatre ni (Dieu merci) freudolâtre. Cela ne donne pas vraiment envie de poursuivre un débat argumenté avec un Ami du fait que je serais vraisemblablement renvoyé à une éventuelle aliénation dont l’idéologue se croit toujours exempté.<br /> <br /> <br /> <br /> Un mot quand même sur cette réponse qui passe un peu à côté de mes objections dont la principale était qu’aucun pouvoir institué ne pouvait à lui seul changer intégralement et rapidement un paradigme (sinon par une révolution délétère comme à chaque fois) et à laquelle tu ne réponds pas vraiment. Aussi m'opposes-tu la nécessité d'un État régulateur auquel je ne m'oppose pas (je ne lutte pas contre les mourants) mais dont je voudrais voir réduit le rôle centralisateur. Puis tu renvoies au libéralisme auquel je n'aspire pas, ayant rejeté l'impérieux marché néo-libéral et sa concurrence "pure et parfaite", rejet auquel j'ajoute ma préférence pour le profit privé collectif et partagé ou autrement dit pour l’intérêt public non étatique qui sont supérieurs selon moi au profit privé individuel comme aux administrations publiques monopolistiques.<br /> <br /> <br /> <br /> Pas « insoumis » donc libéral malgré moi et aliéné ? Puis-je être ni étatiste ni néo-libéral ? Puis-je refuser la société administrée et fonctionnarisée qui aurait résulté de ce programme que son 1er porte-parole lui-même, le candidat vaincu, a avoué ne pas connaître dans les détails ? Puis-je la refuser sans pour autant goûter la précarité ? Puis-je refuser cette soumission étatique dont les affects principaux étaient l'indignation, la colère, la stigmatisation voire la haine du riche... ?<br /> <br /> <br /> <br /> Comme tu te réfères souvent à la pensée de Nietzsche, j'ai trouvé pour toi cette perle parmi d'autres sur ce sujet.<br /> <br /> Crépuscule des Idoles (1889), Divagations d'un "inactuel", à la fin du § 34 : <br /> <br /> "Quand le chrétien condamne, dénigre, salit le monde, il le fait par le même instinct qui pousse l'ouvrier socialiste à condamner, dénigrer, salir la société".<br /> <br /> <br /> <br /> C’est un peu réducteur, mais intéressant…<br /> <br /> <br /> <br /> Bien amicalement,<br /> <br /> <br /> <br /> Anaximandre
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D
Cher Anaximandre,<br /> <br /> Imaginer comme vous le faites que le pouvoir politico-économique, fût-il interdépendant, échappe aux institutions montre combien le dogme s'est infiltré dans un grand nombre d'esprits pour continuer à prospérer sur son affect principal qui est la peur et le sentiment d'impuissance qui l'accompagne.<br /> <br /> <br /> <br /> On peut aisément prendre goût à l'impuissance comme à l'aliénation ce qui fait la "servitude volontaire" de ceux qui gémissent de leur condition précaire et qui en demandent encore !<br /> <br /> <br /> <br /> Les traités européens sont des institutions, le droit du travail qui définit l'accès à un CDI est institutionnalisé, la sécurité sociale également et les congés payés.<br /> <br /> Sans Etat régulateur, sans lois, je ne vois pas quel tiers peut permettre de contrer la dérégulation et la destruction organisée des acquis sociaux comme l'extension illimitée de la pauvreté voire de la misère. Si vous en connaissez un, je suis tout ouï.<br /> <br /> <br /> <br /> Le "néo-collectivisme" dont vous parlez est le fantasme délirant agité par des libéraux, soucieux de préserver leurs intérêts particuliers en effet et qui se gardent bien de lire sérieusement le projet des Insoumis ! <br /> <br /> <br /> <br /> Là où je vous rejoints, c'est que ce dont il s'agit ici, c'est bien d'une certaine Culture politique, d'une définition du citoyen, de l'intérêt général, de la démocratie et de la chose publique garantie par une fonction publique.
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A
Cher Démocrite,<br /> <br /> Si généreux soient les buts, si cultivées soient les références philosophiques ou poétiques, je ne vois pas comment ce qui relève de la superstructure, c'est-à-dire la représentation politique, la direction politique..., pourra influer sur les interdépendances économico-politiques et sur le paradigme lui-même; à moins de mettre en place une grande Tabula Rasa.<br /> <br /> Cela ne s'est jamais vu :<br /> <br /> - pas de Révolution Française sans les forces économiques et leurs intérêts.<br /> <br /> - pas de Conseil National de la Résistance sans la dévastation des forces économiques d'après-guerre.<br /> <br /> Donc, sans rien prédire de l'avenir, je ne vois pas l'option France Insoumise pouvoir réussir par les moyens qu'elle affirme.<br /> <br /> Et j'ajoute que le néo-collectivisme à la Fonction Publique hypertrophiée de M. Jean-Luc Mélenchon, plus jacobin qu'il ne le prétend, contredit beaucoup de mes aspirations au ni État Centralisateur ni Marché Uniformisateur. <br /> <br /> Bien à vous,<br /> <br /> Anaximandre
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D
Merci cher JBD pour ce commentaire roboratif et enthousiasmant qui ne peut qu'encourager "les derniers humains" à se tourner vers une insoumission créative.<br /> <br /> A très vite.
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J
Cher Démocrite,<br /> <br /> Je lis ( nous lisons) avec bonheur ton billet ce matin. Insoumis, nous en sommes , face à tous ces bien mal-pensants qui sacrifient jusqu'à l'absurde à leurs idoles, ces dévots confits en dévotion, ces bonimenteurs journalistiques du marché, fussent-ils parés des plus mirifiques atours de la culture !<br /> <br /> Le philein est bien en effet dans ce tiers, mais un tiers instruit par les déconvenues classiques des péripéties électorales tant de fois répétées , un tiers qui se joue des combines, des tactiques et des stratèges à la petite semaine , un tiers qui se revendique libre, et solidaire de l'intérêt commun de notre humanité.<br /> <br /> Et qu'importe si les "belles personnes" en service commandé ne comprennent pas : lo que ha de ser no puede faltar !<br /> <br /> Bien à toi ,
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